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Ce n’est qu’après l’échec spectaculaire du RPF aux élections municipales de 1953 et l’abandon par étapes de ses activités politiques et parlementaires qu’on voit apparaître dans les documents du PCUS les passages évoquant «la fin du mouvement de De Gaulle» qui n’a pas réussi à «égorger la démocratie en France»[619].
Au milieu des années 1950 le RPF quitte la scène politique et disparaît des documents des comités centraux des deux partis communistes. Néanmoins, les appréciations de l’activité du RPF faites au cours des années 1940 et 1950 sont encore longtemps présentes dans l’historiographie soviétique. Le visa de la censure surveillant la ligne politique officielle, la méthodologie marxiste-léniniste basée sur la conception de la lutte des classes et sur l’opposition du capitalisme au socialisme, le manque d’archives sur le RPF, tels sont les facteurs influençant – des décennies après la désintégration du RPF – les idées des historiens soviétiques. Tout de même il est évident qu’une évolution certaine a eu lieu quant au jugement sur le Rassemblement, dictée, en premier lieu, par des changements dans la vie politique en URSS et sur la scène internationale.
Le RPF vu par les historiens soviétiques
Les premières appréciations, très négatives, sur le RPF et l’activité de son chef Charles de Gaulle sont apparues dans l’historiographie soviétique juste après la fondation du Rassemblement en 1947, et plus tard au tournant des années 1940–1950[620]. L’exemple le plus caractéristique en est la brochure du journaliste soviétique N. Godounov intitulée «La lutte du peuple français contre les occupants hitlériens et leurs complices» (1953)[621]. Son auteur écrit que de Gaulle est «un fasciste» et que les gaullistes sont «un attroupement de traîtres, une force obscure de la réaction internationale qui sont unis dans leur haine contre les forces démocratiques du peuple français»[622]. Selon N. Godounov, dès sa naissance le RPF est «un parti fasciste»[623].
Par la suite, dans les années 1960, quand de Gaulle est déjà président de la VeRépublique et la situation internationale commence à s’améliorer, les appréciations sur RPF deviennent plus pondérées et objectives. L’historiographie soviétique a toujours une particularité: à la base de l’analyse de l’activité de n’importe quel parti se trouvent une méthodologie très arrêtée et très bornée à la conception de classes. Elle a déterminé l’intérêt des historiens soviétiques, en premier lieu, à l’étude des liens et des relations du RPF avec la grande bourgeoisie française. Les chercheurs soviétiques se fondent sur la thèse avancée dans les écrits des communistes français des années 1950–1960, qui dit que le RPF est un part bourgeois de droite au service des monopoles français[624]. Ils prêtent surtout attention à l’analyse des appartenances sociales et professionnelles de ceux qui sont à la tête, de même qu’aux slogans anticommunistes et antisoviétiques du RPF, à l’exigence des gaullistes d’établir la collaboration de classes comme contrepoids à l’idée de la lutte des classes qui, selon Charles de Gaulle, désunit la nation. Au fur et à mesure que progresse l’étude de l’histoire du RPF, les historiens soviétiques commencent à utiliser les sources et les études françaises de tendances différentes. En même temps ils essayent de prouver que le RPF a un seul but: celui de consolider par n’importe quel moyen le pouvoir du grand capital français. Pour n’en citer qu’un exemple, on peut mentionner La IVeRépublique de N. Moltchanov, publiée en 1963. Ce livre est un des premiers ouvrages importants sur l’histoire de la France d’après-guerre dans lequel l’auteur accorde une grande place à l’analyse de l’activité du RPF. N. Moltchanov considère le RPF comme «une organisation autoritaire au service des monopoles» et affirme qu’il a hérité maints traits et méthodes du fascisme classique[625]. Pourtant, il écrit qu’on ne peut pas ranger le RPF parmi les organisations fascistes, car «il agissait dans les conditions spécifiques françaises qui le forçaient à se prononcer pour les libertés démocratiques essentielles»[626]. Quatre ans après, un autre historien très connu en Union soviétique, Y. Roubinski, publie À travers la colonnade du Palais Bourbon (1967) où il caractérise le RPF comme «un détachement avancé de la bourgeoisie française qui a réuni les ressortissants des partis de la droite classique»[627].
Il est à noter que l’analyse de l’histoire politique du RPF n’est pas le sujet central des ouvrages soviétiques des années 1960. De plus, ces livres ne sont pas basés sur les sources directes. Leurs auteurs ne connaissent pas les documents du RPF et le plus souvent ils utilisent les faits figurant dans la littérature historique française, surtout communiste.
Une nouvelle étape dans l’étude du gaullisme, et de l’histoire politique du RPF en particulier, s’est ouverte au tournant des années 1960–1970 et surtout après la mort du général de Gaulle, en 1970. Les mérites de De Gaulle en tant que chef de la France libre et premier président de la VeRépublique sont reconnus dans le monde entier. Le 10 novembre 1970, dans le télégramme du Gouvernement soviétique adressé à Georges Pompidou, nouveau président de la République, on lit: «Homme d’État éminent ayant un haut prestige moral international, le général de Gaulle a beaucoup fait pour faire renaître la grandeur de la France sur la voie de l’indépendance politique… Il a joué un rôle primordial dans le rapprochement entre l’Union soviétique et la France dans le climat de la détente, dans l’esprit de la sécurité européenne et de la coopération entre tous les pays»[628]. Toute la presse soviétique a publié ce télégramme. Dès ce moment-là les historiens soviétiques deviennent plus objectifs et plus libres dans l’appréciation de la politique de De Gaulle et du RPF, son premier mouvement.
Les communistes français eux aussi formulent des appréciations plus pondérées a objectives de l’activité du général de Gaulle. Au XXIecongrès extraordinaire du PCF qui s’est tenu en 1974,